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Neuf ans

Aujourd’hui, cela fait exactement neuf ans que je vivais ma première chimio, que je raconte dans mon journal de bord.  Dans la grande salle de la clinique Charcot, à Sainte-Foy-lès-Lyon, là même où je me trouvais lundi dernier, pour la 121ème

Neuf ans, de nombreuses interventions chirurgicales, des dizaines de scanners, de multiples rendez-vous médicaux plus tard, le parcours se poursuit. Que de temps passé dans des salles d’attente ! Il m’a fallu devenir patiente, très patiente. J’ai vite compris que cela ne servait à rien de soupirer en trouvant le temps long. J’ai pris le contre-pied de ceux qui râlent souvent, comme si médecins et infirmières prenaient plaisir à nous faire languir. Non, ce temps passé dans l’attente et dans les soins, je l’ai aimé, et je l’aime toujours, car c’est du temps de vie en plus, du bonus pris sur la maladie. C’est ma façon de voir les choses, de positiver. Et ce n’est pas maintenant que je vais changer de point de vue.

Sans ce temps de bonus, je n’aurais pas vécu de nombreux moments de vie dans la joie et l’amour de mon chéri, je n’aurais pas connu les deux charmantes jeunes filles qui occupent le cœur et l’esprit de mes deux plus grands fils, je n’aurais pas connu l’affection de Moka, puis de Pep’s, mes chiens. Neuf ans de vie, c’est énorme, plus de 3 200 jours en plus. Mes trois fils ont eu leur bac, leur permis de conduire, ils ont poursuivi leurs études, ils travaillent. Ils sont devenus adultes. Je suis très contente et fière de les avoir menés jusque-là (avec leur papa que je n’oublie pas bien sûr). Le plus gros du job est fait. C’est une grande satisfaction pour une mère que de ne pas devoir leur lâcher la main trop tôt.

Mon fils aîné m’a demandé comment il allait faire, après : je lui ai répondu qu’il faudrait qu’il regarde devant, car sa vie est bien DEVANT lui, il a encore tout à construire. Un petit coup d’œil dans le rétroviseur de temps en temps pour laisser remonter un souvenir, pour rappeler une anecdote, oui. Mais chacun devra poursuivre sa route, comme des hommes qu’ils sont devenus.

Je compte bien sur mon équipe de quatre pour se soutenir les uns les autres !

* * * * *

Lundi 11 mars 2013

Il y a un mois tout juste, je sortais de la clinique. Et voilà que j’y suis à nouveau ce matin. Suite de l’histoire.

Première séance de chimio. Nous y voilà. Et jusqu’ici, tout va bien. J’aime beaucoup cette phrase, elle est pour moi comme une devise. Elle vient ponctuer le quotidien désormais : un jour après l’autre. Une sorte de ritournelle comme « À chaque jour suffit sa peine. » (La Bible, Matthieu, 6.34).

Ce matin, je me retrouve donc dans une pièce avec quelques autres personnes. Que des femmes. Je me doutais bien que je serais la plus jeune.

Je vais bien, je suis un peu comme en suspens dans les airs. C’est ça : ces six mois de chimio, je vais les prendre comme une parenthèse hors du temps. Une parenthèse inattendue dans ma vie. Un moment où chaque instant annonce le suivant et au cours duquel il faut appréhender le présent avec sérénité. S’attendre au pire pour apprécier le meilleur.

J’entends des bribes de conversation. Je sais que je vais avoir du mal à me concentrer sur mon livre. Je me dis que finalement, je pourrais parler avec ces personnes. Mais d’abord, je n’en ai pas très envie. De plus, elles ne m’y invitent pas explicitement. Je n’ai pas l’habitude d’imposer ma présence. Alors tant pis, je vais tout de même essayer d’avancer dans mon livre.

Malgré moi, je les entends parler de leurs cheveux. Je me rends compte que c’est l’une des grandes préoccupations des femmes qui suivent un traitement par chimiothérapie. Chacune y va de ses commentaires et de la façon dont elle les a perdus. Alors je me réconforte en pensant aux paroles du Dr W., un autre oncologue qui m’a reçue en consultation : il y a peu de risques pour moi de perdre mes cheveux, car le produit injecté n’est pas le même que celui qui traite les cancers du sein. Il m’a dit qu’en une quinzaine d’années, il n’avait vu que deux cas. Étant donné que je ne suis pas très chanceuse et que je n’ai jamais gagné le jackpot au loto, j’ai bon espoir que cela ne sera pas pour moi.

Il n’empêche que je comprends que cette préoccupation est importante. L’une des femmes explique combien c’est parfois difficile pour ses enfants et qu’elle fait en sorte qu’ils ne la surprennent pas sans sa perruque. J’ai tout de même réfléchi au problème. Si je perdais mes cheveux, je crois que j’envisagerais de montrer ma nouvelle apparence à mes enfants et qu’en fonction de leurs réactions, si cela ne les mettait pas trop mal à l’aise, je resterais volontiers tête nue, c’est-à-dire tête chauve, à la maison. En revanche, pour sortir, je ne sais pas si j’adopterais la perruque ou un foulard.

Ma curiosité, et peut-être une certaine dose d’appréhension tout de même, m’a poussée à aller consulter quelques sites sur Internet, pour voir les perruques et les foulards. Cela ne donne pas très envie. Il est clair que je serais bien contente d’éviter cette épreuve.

 

À la fin de la séance de chimio, une infirmière est venue me poser ce qu’elle appelle le diffuseur, que je vais devoir garder quarante-huit heures, dans une sorte de petite banane autour de la taille. Il contient 96 ml de produit qui rentre dans mon corps à raison de 2 ml par heure par le dispositif qui m’a été implanté sous la peau la semaine dernière, juste en dessous de la clavicule droite. L’infirmière à domicile viendra vérifier le bon fonctionnement du dispositif demain, et mercredi, vers 14 heures 20, elle viendra me « dépiquer ».

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