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Dimanche

Couchée sur le canapé du salon. Légère. Un comprimé contre la nausée avalé. Légère. J'ai perdu plus de dix kilos en cinq mois. Ces jours-ci encore davantage. À ce rythme, dans 120 jours, je ne serai plus que le poids de mon âme,  21 grammes.
Après la mort de mon père,  j'ai  trouvé sur son bureau un carnet où il notait son poids depuis quelques mois. Ça avait dû  l'inquiéter suffisamment pour garder des traces. Des statistiques. Ou était-ce à la demande d'un médecin. Le début du processus.
Je tire sur le tissu de mon jean devenu trop grand, surtout sur les cuisses. Je regarde mes bras nus, ridés et pourtant doux. Mes mains affinées et blanches. Que n'ai-je pas contemplé chaque jour mes mains de vingt ans ! Mon visage de vingt ans, encore marqué de quelques tâches de rousseur de mon enfance. Six jours après la reprise de la chimio, il est déjà marqué de boutons semblables à  de l'acné,  le plus détestable des effets secondaires, qui me saute au visage et aux yeux des autres.
Je joue avec le reflet du soleil sur ma montre, comme je promenais cet éclat de lumière sur le plafond quand j'avais sept ans, reçu ma première montre, et découvert ce phénomène.
Apaisée,  légère sur le canapé,  je pourrais mourir de suite. Échapper à la déchéance du corps. Épargner mes amours. Les surprendre aussi, eux qui se préparent à des jours, voire à des semaines difficiles à vivre. Difficiles à mourir.
Je pourrais baisser la garde. Je pourrais me laisser glisser doucement. Est-ce déjà le moment ? Non, j'ai encore une fois de la chance, car nous sommes en février,  et vu de mon canapé, le ciel est magnifique aujourd'hui il annonce le printemps. Trop tôt sans doute, mais c'est lui la prochaine saison et ça me donne de la force, encore. Et moi, j'aime le printemps.
Regain.
J'aimerais vivre cette année semblable au rythme de ma vie : un regain, l'apogée de l'été, et quand l'automne sera venu, je pourrai baisser ces deux soeurs aussi fragiles que les ailes du papillon🦋 qui feront disparaître le monde. Et éteindre la lumière. Paisiblement.