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J'aime La Vie

On ne va pas vers les beaux jours. Ça va glisser doucement  ?

Sérénité. Douceur. Voilà à quoi j'aspire désormais. 

Douceur, silence, tranquillité,  moments de joie. Même petits moments de joie, de ceux que l'on fait revivre dans sa mémoire.  De la fabrication de souvenirs. C'est ça,  vieillir ? Collectionner des souvenirs ?

Aujourd'hui, le soleil brille. C'est bon. Profitez-en pour respirer, observer, admirer,  méditer, non ? Faites entrer l'air dans vos poumons, vivez. Humez. Vivez. Vivez !

Aujourd'hui,  c'est le premier matin du reste de ma vie. Le chemin parcouru jusqu'ici a été balisé, semé  d'épreuves, certes, mais je savais que les jours allaient se succéder, que j'étais armée pour surmonter les aléas de mon long, long parcours de soins. J'ai eu la chance de ne pas mourir tout de suite, de vivre bien malgré diverses interventions chirurgicales, de rebondir comme la petite boule d'énergie que je me suis efforcée d'être. Pour moi, pour eux, pour tout le monde. Parce que j'avais la rage. Avec les premiers jours de 2022, je suis entrée  dans ma dixième année de cancer. Je suis en cancer dixième année. Quel parcours ! Du bonus, du bonus, du bonheur.

Hier,  les nouvelles n'ont rien annoncé de bon sous le soleil. Le rideau noir m'est tombé dessus. Alors il va falloir se rendre à  l'évidence. On a réglé, au moins provisoirement, des problèmes mécaniques de tuyauterie cette semaine. Mais le scanner met en évidence un assaut insurmontable du cancer.  Alors quoi ? L'urgence sera certainement de reprendre une chimio, de continuer à faire tourner le compteur arrêté à  112 cures en hôpital de jour.  On espèrera un sursaut d' efficacité,  qui viendra, ou pas. Qui me donnera un peu de temps  supplémentaire. Ou pas. Mois, semaines ? Mais avec quel confort de vie ? Dans quelles conditions ? 

Je dois laisser mon esprit trouver les ressources pour surmonter cette étape.  Le chemin se transforme en sentier, plus étroit,  plus raide. Ce sera plus fatigant. La vie ne me sera plus si douce. J'aurai ainsi moins de mal à la laisser partir. Ça va glisser, doucement, inexorablement, comme un filet d'eau entre mes doigts. 

Je vais faire de mon mieux pour rendre les jours moins douloureux à mes chers et tendres, aux amours de ma vie. Non, je ne suis pas courageuse, mais je suis encore forte,  fière d'être arrivée jusque-là, peut-être moins enragée, moins en colère. Est-ce que la résignation est une bonne attitude à adopter ? Est-ce qu'il faut baisser les bras ? Et puis ça change quoi ?

Encore un cran supplémentaire dans la maladie, et elle sera plus visible, plus quotidienne, plus handicapante. Qu'y puis-je ? J'ai souvent témoigné,  j'ai aimé ça,  lire des encouragements,  avoir le sentiment d'en faire passer aussi. C'est moi, ça, ma façon d'être.  Ça m'a fait du bien. Vous lire m'a offert quelques instants de bonheur par l'intérêt que vous me portiez, et je vous en remercie. 

Aujourd'hui,  c'est trop douloureux pour moi, j'ai besoin de reprendre pied. J'ai hâte de rentrer chez moi,  d'etre entourée de mes amours, de caresser Moka, de me plonger dans son regard. Je sais qu'il sait, je suis sûre  qu'il sait ma détresse. Ses yeux dorés m'apaiseront. Hâte de respirer l'air de ma campagne. Retrouver mon cocon. Me recroqueviller, étouffer ma peine dans mes bras, mais être là où je dois être, chez moi, avec mes chers et tendres. Mon équipe de 4 garçons qui vont se serrer les coudes. Je les aime tant !

Depuis le Covid, on entend souvent : prenez soin de vous. Non : prenons soin les uns des autres.

J'aime la vie.