· 

On ne va pas vers les beaux jours

Jeudi dernier, rendez-vous avec mon oncologue habituelle à Charcot. De toute façon, je sais qu’elle va me proposer une nouvelle chimio orale qui a fait quelque peut ses preuves, qu’elle va me dire qu’il faut y croire. Consultation, scanner. La métastase fantôme visible sur le petscan début juillet, et que l’on ne retrouvait pas quelques jours plus tard à l’échographie, est bien là, sur le foie, et faute de traitement, elle s’en est donnée à cœur joie, l’été lui a été profitable. D’autres métastases sont apparues à un autre endroit du péritoine. Je m’en doutais bien, vu que mon marqueur sanguin avait bien progressé lui aussi sur l’analyse de mi-août.

Vendredi : Je perds pied, un genou à terre. Il faut que je me relève, j’ai l’impression de me noyer dans de sombres pensées. Le voile revient et s’abat sur moi, et je n’en veux pas. De toute façon, je sais que nous n’allons pas vers le beau temps. Je regarde autour de moi dans le salon, un tableau qu’a fait Lucas en maternelle, je me souviens. Une photo de mon poney et moi, qui date de vingt ans, je me souviens. Ces deux tableaux que nous avions gagnés à la fête de l’école, je me souviens. La tête de chouette sur la cheminée, œuvre de Lucas ou d’Eliot ? Cette tortue en résine, achetée sur le marché nocturne de Sanary. Ces souvenirs me reviennent alors que je me plains toujours de ne jamais rien me rappeler. Pourquoi dois-je pleurer à l’évocation du temps qui passe ? Pourquoi ne suis-je pas simplement capable de voir que ma vie s’est déroulée comme pour tout un chacun ? L’école, les enfants, les vacances, la construction de mon nid douillet, mon cocon.

Je suis quand même allée me faire vacciner. Troisième dose.

Samedi : résultats de prise de sang. Tiens, mon marqueur sanguin fait de la grimpette. Il va falloir se préparer. J’ai du mal à m’empêcher de compter. Trois mois de ceci, puis peut-être trois mois de cela ? Et après, et si seulement on peut encore compter par tranche de trois mois ?

Dimanche : Tous ces jours que j’ai vécus, qui auraient pu être moches et qui étaient du bonheur. J’ai acheté il y a quelque temps un agenda 2022, je n’ose rien écrire dedans. Tourner dix pages est une question de vie. Est-ce que ça va s’arrêter dans cet agenda ? Le jour de ma mort est peut-être celui-ci, ou celui-là, ou aujourd’hui, pile dans un an ? Je l’aurais déjà vécu cinquante fois, je ne l’aurais vécu que cinquante fois.

Mon esprit n’a pas de repos. Maintenant, je m’efforce de penser que personne n’est irremplaçable et que mes chers et tendres sont tous des adultes qui vont s’en sortir. Mais oui, bien sûr, il faut juste les préparer un peu. J’ai très souvent tout géré que je le veuille ou non par rapport aux enfants, par rapport à l'école, un choix, mais c'était aussi un partage de tâches entre papa et maman. Chacun pourra faire sa part. Leur monde continuera de tourner. Je dois leur faire confiance, ils sont prêts.

Lundi : Je repense aux docteurs. On leur fait confiance aussi. Mais quel drôle de métier que de devoir mentir lorsque l’on veut que l’espoir demeure ! Et puis passe un bon week-end avec ça dans le cœur, et puis un bon lundi, un bon mardi, un bon… reste de ta vie.

À quoi bon se morfondre, il faut repartir, tenir face aux autres, face à soi et pour soi, SE tenir droite et sereine, profiter encore plus. Même si on ne va pas vers les beaux jours, il nous reste des jours heureux, j’en suis sûre, et je dois leur donner de les vivre avec moi. Pour ceux que j’aime tant.

 

 

Écrire commentaire

Commentaires: 0